Le groupe Pierre OVERNEY, animé par Martial RAUCH (mise en scène),
Yannick CHAPUIS (direction musicale) et Jean-Philippe LAMBERT (lumière et
scénographie) propose depuis la création du Collectif des spectacles ayant tout
d'abord mêlé la danse, la musique et le théâtre, puis, avec le spectacle
Sade... n'y allez jamais sans lumière (2002),
des travaux rapprochant essentiellement la création musicale et le théâtre.
Ce groupe, tout d'abord issu du milieu universitaire amateur, tente depuis de se
professionnaliser, tant par son souci de rémunérer les personnes participant à
chacune de ses nouvelles créations que par l'extrême rigueur qu'il s'impose dans
la réalisation de chacun de ses spectacles. Cet effort de professionnalisation
a surtout été possible grâce au soutien de l'Espace 44 qui, depuis 2003, accueille
tous les nouveaux projets issus de ce groupe.
Depuis l'avènement des techniques de reproductions et de diffusion de masse,
aussi bien des oeuvres d'art que des discours politiques, une brèche s'est ouverte
dans les « métaphysiques de la représentation » : une représentation n'est plus
ce qui a lieu une fois, à un instant donné dans un lieu précis, mais ce qui a
lieu un nombre indéterminé de fois -dans un nombre indéterminé de lieux ; cet
état de fait implique une crise des conditions d'exposition, tant des gouvernants
que de tout autre discours, artistique en particulier. Ces nouvelles techniques ont
vidé tout autant les parlements que les théâtres (cf. Walter Benjamin : « l'oeuvre
d'art à l'heure de sa reproductibilité technique »). La télévision et le cinéma
ont changé le statut et la fonction de l'acteur (comme de l'homme politique).
D'où une nouvelle sélection, une sélection devant l'appareil, de laquelle la
vedette ou le dictateur sortent le plus souvent vainqueur. Face à ces risques,
le théâtre nous paraît être l'un des moyen les plus précieux pour lutter contre
cette contamination de la grande diffusion dans notre univers sensible qui se
réduit chaque jour d'autant plus que cette réalité pop-médiatique nous envahit.
Le théâtre est le moyen du minuscule (pour ne pas dire des minuscules) par
excellence, de l'éphémère, de l'improbable.
Le XXe siècle aura ouvert un abîme de barbarie qu'aucun discours n'aura pu venir
combler ni même justifier : la déchirure est absolue, totale, sans rémission.
Elle provoque une ouverture sur une dimension autre que celle de la représentation.
L'horreur des tranchées puis celle des camps d'extermination rendent incongru
tout ce que les Mythes et les Symboles, les Fables ou les Grands Récits (de
l'Histoire, du Cosmos, de l'Univers, de l'Homme, de l'Humanité, de la Culture,
des Sciences, de l'Art, etc.) ont tenté de légitimer. Aujourd'hui, héritiers
de ce XXe siècle, nous faisons l'expérience quotidienne de la dislocation du
sens, des valeurs, de l'univers en expansion, de ce qui n'a pas ou plus de sens,
de l'in-interprétable, du hors-sens, du hors-monde : de l'immonde.
Le théâtre (notre théâtre) nous permet de ne pas tout dire, de renoncer l'espace
d'un instant (à chaque fois unique) aux discours Majeurs, aux approximations et
généralisations nivelantes.
Se taire ? Surtout pas, alors que tout nous incite à le faire.
Renoncer à « dire tout » n'est pas « ne rien dire ». Dire le « peut-être »,
le peu d'être qui se dissimule derrière les apparences trop certaines. Tenter
d'être sensible à toutes ces petites courbures de la pensé et des émotions ;
chercher à décrire, par le jeu de l’écriture, de la voix ou de la musique ces
minuscules processus qui sont rythmes, vagues ou vaguelettes, fragiles
respirations, frêles mouvements ... Tous les petits pas de la conscience. Bref,
le théâtre nous apparaît aujourd'hui comme une brêche ouverte parmi l'accablante
monotonie des flots de discours -sur tout et sur rien- dont nous abreuvent ce
que nous nommons (trop vaguement sans doute) les « mass-media ». Le théâtre n'est
certainement plus là pour « représenter » quoi que ce soit, et surtout pas
une « réalité » (qu'elle soit sociale, psychologique, historique ou autre) qui
déborde de partout et nous encombre de manière de plus en plus problématique.
Car qu'est-ce d'autre qu'une représentation si ce n'est le ressassement
sans cesse renouvelé d'un présent inamovible et pleinement suffisant,
c'est-à-dire le plus radical des freins à toute forme de pensée critique, qui ne
peut être conçue que sous les auspices du temporel, de l'éphémère, du transitoire ;
frein à toute forme de jouissance d'une liberté qui serait libre sans cesse
d'inventer et de réinventer son histoire et, par là même, capable de rendre
l'homme à lui-même, c'est-à-dire capable de le libérer de ses entraves historiques
afin qu'il puisse jouir pleinement de ses droits sur l'avenir.
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